Les raids vikings à travers le discours des moines occidentaux





Dans le monde occidental, les vikings n'ont pas bonne réputation. A vrai dire chacun de nous, en pensant à un viking, imagine un homme grand, blond, musclé et surtout cruel. Je ne veux pas vous décevoir mais cette image est totalement biaisée. Dans un premier temps par les romantiques mais surtout par le discours des moines occidentaux.  

L'attaque de Lindisfarne en 793 est reconnu comme étant l'un des premiers raids. Ce n'est peut être pas la première mais en tout cas elle marque profondément la mémoire collective. Pourquoi ? Parce qu'on attribue à ce raid une dimension symbolique (en plus d'être traumatisante) :


    "Cette année-là, de terribles présages apparurent partout en Northumbrie et effrayèrent le peuple au    plus haut point : il s’agissait d’immenses tornades et éclairs, et on vit des dragons de feu voler dans les airs. Une grande famine suivit immédiatement ces signes ; et, peu après, au cours de la même année, le 8 juin, les misérables dévastations des païens, pillant et massacrant, détruisirent l’église de Dieu à Lindisfarne."



Mais quelle est la réaction des contemporains ?

        
Alcuin, un moine anglo-saxon, présent à la cour de Charlemagne, est horrifié ! Il mentionne cet événement dans pas moins de sept lettres.  


    "Voilà près de 350 ans que nous et nos ancêtres habitons le plus beau pays qui soit, et jamais une terreur telle que celle que nous subissons à présent de la part de ce peuple païen n’avait auparavant surgi en Bretagne, ni une telle traversée en mer n’apparaissait possible. Voilà l’église de saint Cuthbert, couverte du sang des prêtres de Dieu, dépouillée de tous ses ornements ; lieu le plus vénérable en tous en Bretagne, donné en pâture aux peuples païens."


Une dénonciation biaisée

Ces récits sont très précieux pour les historiens toutefois ils posent un certain nombre de problèmes. Les textes occidentaux nous donnent le point de vue des victimes en insistant considérablement sur la violence. Je ne dis pas que les scandinaves étaient tendres, bien au contraire, je questionne seulement les sources. On retrouve les mêmes expressions tels que "paiens", "pillent", "massacrent" et le topos des loups dans la bergerie. Les danois par exemple sont présentés comme l'"armée paienne". 

    "Cette année-là, les païens venus du Nord arrivèrent en Bretagne avec une flotte, comme des frelons munis de leur dard, et se propagèrent en tous sens comme des loups très funestes, pillant, saccageant et massacrant non seulement bêtes de somme, moutons et bœufs, mais aussi prêtres et diacres, ainsi que les communautés de moines et de nones. Parvenus à l’église de Lindisfarne, misérables pillards, ils dévastèrent tout, piétinèrent les lieux sacrés avec leurs pieds impies, brisèrent les autels et s’emparèrent de tous les trésors de la sainte église. Ils tuèrent quelques frères, en réduisirent d’autres en esclavage, en chassèrent de très nombreux, dénudés, malmenés et couverts de honte, en noyèrent certains dans la mer."

Les auteurs occidentaux méprisent les scandinaves et ne dissimulent pas leur jugement de valeur. Les vikings sont des barbares, les Anglo-saxons des victimes saintes (on le remarque dans les superlatifs élogieux). 

Par ailleurs, le nombre des  ennemis est souvent exagéré. Certains chroniqueurs parlent de 350 navires et d'autres de 35. Ici il s'agirait d'un procédé rhétorique pour signifier une très grande flotte. 
Pendant longtemps, l'historiographe s'est basé sur ces textes. Notre vision péjorative de l'homme viking brutal viendrait en partie de là. 


La violence, "colonne vertébrale" des sociétés médiévales

Les sources runiques que nous possédons insistent sur des valeurs tels que l'honneur, le courage et la loyauté. Des valeurs bien loin de la barbarie présentée par les occidentaux. 

Le monde médiéval est un monde où la violence est omniprésente. On parle beaucoup des attaques scandinaves mais peu du contexte militaire dans les pays chrétiens. En effet Les Annales Royales Franques ne rapportent aucun conflit en 792. Or, c'est faux ! Il y a bien eu une expédition contre le Bénévent. 

A cela s'ajoute les nombreuse guerres dans les royaumes anglo-saxons (au VII et VIII siècle). La Mercie, le Wessex, la Northumbrie et l'Est Anglie s'attaquent fréquemment. 
En Francie, il y a d'innombrables guerres civiles (rapportées par Grégoire de Tours). Un exemple assez flagrant se trouve dans les Annales de Saint-Bertin. Après la mort de Louis le Pieux, un de ses fils, Lothaire s'en va au Mans détruisant tout sur son passage : 

      « ravageant tout, dévastant, brûlant, violant, commettant sacrilèges et blasphèmes, à tel point qu’il ne pouvait même pas empêcher ses hommes de s’en prendre à ceux à qui il était censé rendre visite »

Il est aisé de reconnaitre dans cet extrait, des occurrences que l'on attribue plutôt aux "païens". En effet, le chroniqueur réduit le souverain à un barbare. Il le discrédite. 


Les territoires abordées par les vikings connaissent déjà la violence... 

En 2010 Isabelle Caron soutient que les impacts ont été moins lourds que ce que l'on prétendait.  Les "incursions normandes" ont obligé les moines à se déplacer mais elles n'ont pas bouleversé le contexte social et politique. Certains moines ont même exagéré le nombre de vols pour augmenter leur patrimoine foncier...

Du "clash de civilisations" à l'instrumentalisation de la violence


Pourquoi l'attaque de Lindisfarne est-elle devenue le symbole de la violence viking ? Quels sont les enjeux de ces textes ? Ont-ils instrumentalisé ces attaques pour servir les enjeux intérieurs ? 

Lindisfarne était un lieu très emblématique, un établissement royal, un lieu important spirituellement. Une gravure, trouvée sur ce lieu, (sur une pierre - IXe siècle max) représente le Jugement Dernier. Et cette attaque viking en est l'annonciatrice. C'est une référence à l'Ancien Testament (livre de Jérémie) :  

      « Voici qu’un peuple arrive du Nord, une grande nation se lève des confins de la terre ; […] ils sont barbares et impitoyables… » (6.22-23)
On peut donc faire l'hypothèse, en étudiant le contexte, d'un discours apologétique que l'on relie à un phénomène de christianisation (opéré depuis le VIe). Une partie de la population anglo-saxonne reste en effet sensible aux croyances "païennes" dont elle est l'héritière. 

Ces textes peuvent aussi dénoncer le train de vie de certains dirigeants. Alcuin écrit cela au roi Aethelred de Northumbrie : 

     "[…] Chaque jour le malheur de vos tribulations m’attriste grandement, quand des païens ont souillé les sanctuaires de Dieu et répandu le sang des saints autour des autels, dévasté la demeure de notre espoir, piétiné les corps des saints dans le temple de Dieu, comme du fumier dans la rue […] Soit c’est le début de grands malheurs, soit les péchés des habitants l’ont exigé. Cela n’est assurément pas arrivé par hasard, mais est un signe que quelqu’un l’a bien mérité. Mais maintenant, vous qui avez survécu, tenez bon, battez vous avec courage, défendez le camp de Dieu"

Dieu les punit pour leur impiété. 

Pour mieux aborder ces écrits et les relier au contexte social et géopolitique, il faut s'attarder sur la date de rédaction (souvent plus tardive que l'événement). Elles sont orientées pour unir le peuple et faire barrage aux invasions. 




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Nota bene: cet article est la réécriture d'un essai écrit par l'historienne Lucie Malbos !! 






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